Mais qu’arrive-t-il au Sénégal ? C’est à ne plus rien comprendre… Alors que ça marchait harmonieusement en colonne par deux, nous voilà éparpillés et éclatés en mille morceaux ! Avec Oumar Ndao, parlons de la peur, des artistes, et des gourdes !

oumar-ndaolastImaginez le Sénégal de la fin des années 70 ! Tout marchait deux par deux, épaule contre épaule comme dit dans l’hymne national : Senghor au Palais, Lamine Guèye à l’Assemblée nationale ; le PS au pouvoir et tous les autres dans le PAI clandestin ; Serigne Abdou à Tivaouane, Serigne Abdou Lahat à Touba ; au milieu du terrain de l’équipe nationale Louis Gomis et Louis Camara ; sur le banc des entraîneurs Joe Diop et Mawade ; l’enracinement et l’ouverture ; l’organisation et la méthode. Que d’hommes fabuleux et de concepts puissants, intelligents et porteurs de rêves ! Et toujours dans l’harmonie du binaire !

Aujourd’hui, et ce depuis bientôt vingt années, les choses ont éclaté en mille morceaux : la cacophonie des partis et des partisans politiques, des joueurs sortis de mille écoles et en nombre surabondant, des chapelles religieuses à ne plus savoir où donner du chapelet, des institutions en désordre et encombrées par des hommes sortis de nulle part (la rue, c’est quand même nulle part)… Est-ce cela la diversité ? Ces tessons de la grande calebasse ?

Les gourdes font plier l’arbre. Le baobab de l’emblème national gémit de douleur, le lion rouge a rougi.

La peur revient dans les conversations, comme en 1988 ou 1993, et c’est surtout la peur de l’incertain. Or, les artistes visionnaires savent lire les oracles mais ils préfèrent l’ambiance recueillie de leurs laboratoires aux aboiements de la foule. Ils préfèrent les univers sobres et harmonieux aux paysages brouillés  par des enragés aux rictus de sorciers.

Et pourtant, de temps à autre, se penchant à la fenêtre de la nation, les artistes ont dit un petit holà : l’émigration clandestine dans Touki Bouki déjà, les pirogues clandestines dans Grand Dakar Usine en 1995, l’Alternance politique dans Yalla Yaana bien des années avant, le problème jeune dans Kuleen juroon yërëmleen (Seuls ceux qui vous ont mis au monde peuvent penser tendrement à vous) de Xaar Mbaye… On en arrive presque (mais Dieu nous en garde !) à Dêk bi takk na jëppeet (Le pays est en flammes) de Yatfu ou à Révolution de PBS.

Tout a été dit depuis bien longtemps mais pour se perdre dans la rumeur confuse des gourdes, pas les gourdes qui scandent les rythmes suaves du yéla pulaar mais les gourdes traînées par des chiens hurlants, sur la peau rugueuse de ce pays  qui grince, des gourdes lancées en l’air et qui, comme des crachats, vont revenir se coller sur nos faces. Léo Ferré chantait : « Monsieur Einstein, loin des canons, croyant bosser pour lui seul, a découvert des équations qui vont nous tomber sur la gueule ».

Quelqu’un joue à faire peur à ce pays. Paix pour les créateurs qui demandent une trêve silencieuse ! Un peu de silence pour travailler à refaire le pays ! Pour réapprendre à marcher, épaule contre épaule, deux par deux puisque nous ne savons pas faire foule. Il est interdit d’ailleurs, et paradoxalement, de faire foule dans cette diversité, et de manifester. Bientôt nous arriverons à l’absurde de Brecht : ils vont dissoudre le peuple pour procéder à de nouvelles élections. Et, pour nous narguer, un fou se lèvera, grosse gourde, pour nous lancer, comme Ubu Roi ne sachant même pas dire le mot de Cambronne, un gros « Merdre ! ».

5 réflexions sur “La saison des gourdes.. Par Oumar Ndao (2007)

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